2008年9月16日 星期二

Jean-Marie Boivin, l’Alfred Sirven de l’armement


DCNI « vend » son intermédiaire bien introduit au Luxembourg pour arracher un marché de bateaux : Jean-Marie Boivin

Sur papier à en-tête de la société Eurolux Gestion, l’ex-cadre de DCNI raconte ses missions auprès d’un ministre du Luxembourg

Jean-Marie Boivin, l’Alfred Sirven de l’armement

BATEAUX MILITAIRES / vendredi 12 septembre par Laurent Léger, Nicolas Beau

Les grands contrats de frégates, sous-marins, torpilleurs et autres bateaux militaires ont donné lieu à une sacrée évaporation d’argent, à coup de commissions distribuées dans l’opacité. Au coeur de ces secrets d’État et de ces affaires délicates dans lesquelles est cité le nom de Sarkozy, un homme mystérieux et à l’entregent important : Jean-Marie Boivin. Une sorte d’Alfred Sirven de l’armement…

Cet article a déjà été publié le 27 juin 2008.

Dans les locaux de DCN International (DCNI), chargé depuis 1991 de vendre les frégates, sous marins et autres corvettes, le personnel ne savait pas vraiment quelles pouvaient être les fonctions de Jean-Marie Boivin, arrivé en 1994 dans la maison. « Juriste ? Directeur financier ? », s’interroge une ancienne cadre de cette société. Pourtant, à DCNI, tout le monde se connaît : la boîte ne compte qu’une trentaine de salariés au démarrage, et jusqu’à 120 au début des années 2000, divisés en deux catégories bien distinctes : les ingénieurs et les commerciaux. Mais Boivin, lui, est beaucoup plus que cela, une sorte d’Alfred Sirven des grands contrats d’armement naval.

Ami de Jean-Claude Juncker et du Grand Duc du Luxembourg

On a néanmoins compris dans les couloirs de DCNI que ce personnage affable et prudent, ancien aide de camp du général Heinrich (le futur patron de la direction du renseignement militaire), se promène souvent du côté du petit État du Luxembourg. Il n’en fait pas mystère et y a même obtenu le statut de résident, ce qui ne l’empêche pas d’occuper un bel appartement près du Champ-de-Mars, à Paris. Bakchich lui a adressé à cette adresse un courrier pour avoir le privilège de s’entretenir avec lui, puis l’a joint au téléphone. Mais ce grand spécialiste des tuyauteries financières a courtoisement décliné l’invitation. Tant pis !

Le Luxembourg et Boivin, une vieille histoire… Proche du fils du banquier Lambert, un ponte de la finance dont le nom a servi d’enseigne à un établissement réputé, Boivin est au mieux avec le Premier ministre Jean-Claude Juncker, ainsi qu’avec l’ancien ministre luxembourgeois de l’Intérieur, Michel Wolter, qu’il invitera un jour à un mémorable safari en Afrique du sud. Aux frais de DCNI… Surtout, son amitié avec le Grand Duc du Luxembourg, avec qui il voyage en Suède, au Chili, au Brésil, lui sert de sauf conduit. Voire de passe-partout.

Clearstream ? Vous avez dit Clearstream ?

A DCNI, où l’on versait le plus légalement du monde de belles commissions afin de remporter les marchés internationaux, Jean Marie Boivin s’occupa brillamment de la face cachée des contrats à l’export. Il le fit pourtant via une petite société discrète, Heine, véritable boite noire des contrats de frégates des années 90.

Lorsqu’en 2000, la France signe la convention de l’OCDE interdisant le versement de commissions aux officiels étrangers, Jean-Marie Boivin arpente moins les couloirs de DCNI et prend les rênes d’autres sociétés, soit au Luxembourg (Eurolux Gestion, par exemple), soit en Irlande, en Suisse (Eurolux, tout court). Et aussi d’autres structures, en des territoires plus secrets, comme à l’île de Man. Récemment, il se serait diversifié en installant des sociétés à Maurice, qu’il visite régulièrement, ainsi que les Seychelles.

A ses côtés, un comptable, Yves Schmit, est chargé de tenir les comptes et de gérer une ribambelle de coquilles vides, Eich Gestion, Kandar, Samson, Riverbrow, Kraftwerk et tutti quanti. Pour virer l’argent des commissions et autres rétro commissions d’une société à l’autre, Boivin et Schmit se méfient des procédures classiques, type swift bancaire. « Ces deux as de la finance occulte, explique un ancien cadre de Thalès, préféraient utiliser d’autres procédures, et notamment les établissements plus discrets de compensation financière, type Clearstream ». L’information est capitale. Si Jean-Marie Boivin utilisait parfois Clearstream pour acheminer certains flux financiers, on peut comprendre pourquoi quelques électrons libres mal inspirés ont pu inventer de fabriquer de faux listings liés inspirés de cette honorable institution.

Boivin reçu à l’Elysée en 2003 par le cabinet militaire particulier de Chirac

Jean-Marie Boivin est tellement bien introduit au Luxembourg qu’on va aller le chercher pour jouer les intermédiaires dans un gros contrat de bateaux que la France cherche à refourguer aux belges, grâce à un financement luxembourgeois.

Ainsi, comme on peut le lire ci dessus, DCNI cherche à « vendre », contre 600 000 euros, les services de son ex-cadre auprès d’Armaris, la société commerciale créée en 2003 par Thales et DCN pour remplacer DCNI. Et cela marche ! Les dirigeants d’Armaris répondent positivement et mandatent Jean Marie Boivin pour une action de lobbying auprès du ministre luxembourgeois de la Défense Dans le cadre de cette mission, Boivin se rend à l’Elysée convaincre les proches de Chirac de l’utilité pour le président d’aller sur place promouvoir les bateaux français (cliquer ici pour revoir les documents publiés mercredi 25 juin par Bakchich).

Pour remplir ces brillantes missions (voir ci-dessus notre second document), Jean Marie Boivin recourt à une autre société, "Protile", créée pour cette seule mission. La vente ne se fera pas, mais les 600000 euros seront versés. De quoi payer au ministre luxembourgeois un safari en Afrique.

Puis vint le temps de la disgrâce

Avec la création en 2006 de DCNS, fusion de DCN et de Thalès, vint la mise à l’écart de notre Sirven de l’armement. Quelques temps après la création d’Armaris et la réduction conséquente des activités de DCNI, Boivin est écarté du système. On lui propose deux millions d’euros, pour solde de tout compte, mais il ne l’entend pas ainsi. Ce gourmand réclame huit à dix millions d’euros et, dépité de rien voir venir, écrit à la terre entière pour protester. Sur le mode : « Moi, qui ait servi la France, la Dcn et l’armement français ! »

Ses missives sont adressées à Matignon, alors tenu par Dominique de Villepin, et au cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Claude Guéant et François Pérol, deux de ses plus proches collaborateurs, reçoivent les lettres de protestation. Le patron de la DCN, Jean-Marie Poimbeuf, de hauts cadres de Thales, tel Jean-Paul Perrier, le patron de l’international, reçoivent aussi ces courriers vindicatifs. Au téléphone, Boivin se fait plus menaçant et évoque ses coffres en Suisse.

Pour tenter de le raisonner, le cabinet de Sarkozy envoie à Boivin un duo d’émissaires – deux agents de la DST de l’antenne de Metz, selon nos sources. Attention, danger ! Avec les documents que cet homme de l’ombre en train de passer à la lumière a amassés dans un coffre de l’UBS à Zurich, les secrets les mieux gardés de la République pourraient être éventés
Demain, la quatrième partie de notre enquête qui concernera le sort des grands contrats d’armement, lorsque Chirac est élu chef de l’Etat en 1995 et veut reprendre la main. On verra comment des boites d’intelligence économique ont tenté de faire pression sur les intermédiaires balladuriens de l’époque précédente

http://www.bakchich.info/article4999.html

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